"Alone into" : Installation performance pour un interprète et un spectateur.

Il s'agissait pour moi de rompre avec le cadre noir de la boite noire des salles de spectacle, et travailler pour d'autres espaces  et d'autres contextes. J'avais envie d'expérimenter la place et le rôle du spectateur afin de lui permettre d'entrer autrement dans les sensations d'un propos artistique.

L'enjeu premier fut d'intégrer le corps du spectateur dans l'architecture de l'installation, le plongeant d'emblée dans le ressenti physique de la spatialité symbolique construite : matérialisation du concept de l'infini par l'espace , deux lignes parallèles fuyantes, deux longs rideaux formant l'idée d'un couloir sans fin...

Il s'agissait de remuer l'activité imaginaire du spectateur par l'immersion et l'implication directe de son corps dans l'émotion de l'espace, par la mise en éveil de ses sens de perception et créer ainsi les conditions d'une écoute privilégiée et d'une expérience relationnelle intime entre lui et le personnage.

 

"Alone into" fut conçu comme un tableau de peinture exposé en galerie avec lequel on peut rester le temps souhaité. Un tableau en trois dimensions mouvant dans lequel un personnage abstrait vit. Ce dispositif scénique fut aussi conçu  pour répondre à un désir de mettre en scène l'esprit et la technique de  Danse-contact-improvisation, technique de danse développée aux Etats-unis à partir des année 70  que j'étudie et pratique depuis de longues années. Par l'écoute de ce qui est et se meut en lui et autour de lui, de ce qui le touche ou le traverse, volontairement ou non, l'interprète-personnage parcourt le temps, enchainant et réinventant à chaque instant sa propre forme ; l'improvisation, danse du principe vital, toujours en élaboration, active, présence sous-jacente, toujours en mouvement, toujours créative, encadrée par le temps, l'environnement et le contexte. 

L'improvisation: fonction essentielle dans l'être humain, synonyme d'adaptation, de capacité comportementale à assumer et se confronter à l'inconnu, l'avenir et l'évolution du cours des choses. L'improvisation, source de connaissance et de découverte, défense naturelle de l'esprit face aux limites de son entendement, permettant l'idée du possible, d'une alternative non attendue, une ouverture, une échappée à l'angoisse de l'arrêt, la fin, le néant ; une sorte de contre-poison qui se jouerait de la gravité des choses et nous donnerait l'expérience et le plaisir de la légèreté. Reconnaitre et communiquer la force positive de l'improvisation... tel était aussi l'objectif de l'installation.

 

En provoquant une relation en miroir entre le regardeur et le regardé, l'installation tentait de déclencher l'instinct de l'expérimentation chez le spectateur, pouvant aller jusqu'à transformer le rapport en duo.

Pour l'interprète improvisateur, une totale liberté d'invention tenue par le cadre plastique, symbolique et expérimental de l'installation ; il n'a pas la contrainte de devoir tenir un développement narratif cohérent. Il est une partie et au service d'un symbolique qui génère des sensations et des émotions. Son objectif de travail fut de tenir la plus grande justesse d'écoute de lui-même et de son environnement, tenir son désir d'invention dans la durée aidé par la capacité de modifier certaines données de son univers, sonores, lumineuses et vestimentaires.

Pour le spectateur, le dispositif lui permettait l'expérimentation de sa propre perception  par la possibilité de modifier son propre univers sonore et ainsi en avoir différentes lectures émotionnelles et sensitives. Il avait également la possibilité de lire des poèmes associés à l'installation et était inviter à écrire ou dessiner.

 

Cette installation avait pour moteur de donner une part supplémentaire de liberté d'action, d'interprétation et de ressenti des deux cotés du rideau, d'établir un partage et une réception plus intime  du sens et des émotions d'un propos artistique et de poser l'oeuvre d'art comme un vecteur essentiel d'échange et d'ouverture sur soi et les autres.